La Voie Du Cœur Saint…

Osman Nuri TOPBAŞ

Notre Seigneur le Tout-Puissant nous a créés, par Sa grâce, dans la forme la plus parfaite « Ahsani Taqwim », sans nous en demander de contrepartie, avec la  prédisposition innée à recevoir l’Islam. Mais Il I nous enveloppa dans « une âme » (nafs) avec une caractéristique pouvant aussi bien nous faire incliner vers la « taqwa ou le fujûr  », vers le bien ou le mal, vers le châtiment ou la récompense.

Notre épreuve la plus difficile dans ce bas-monde consiste à briser l’ardeur de sa nafs et de sa maîtrise. Pour cela, il est nécessaire d’entreprendre une purification de l’âme et un cheminement dans la voie spirituelle.

L’Imâm al-Ghazâlî رَحْمَتَ الله عَلَيْهِ indique :

«L’homme est comparable à la cire, on peut lui donner la forme qu’on veut (bonne ou mauvaise) en la travaillant.»

Par exemple, selon son éducation, un enfant de trois ans peut aussi bien donner du lait à boire ou bien jeter des pierres à un chat. La différence entre les deux est le fruit de l’éducation qu’il aura reçue.

Ainsi, l’éducation spirituelle est nécessaire pour s’affranchir des attachements aux désirs égotiques et développer sa prédisposition spirituelle.

En outre, l’Imam al-Ghazali رَحْمَتَ الله عَلَيْهِ identifie les éléments qui façonnent les dispositions et les comportements de l’homme en trois pouvoirs :

1) Quwwah al-‘Aqliyya (le pouvoir intellectuel),

2) Quwwah al-Ghadabiyya (le pouvoir de la colère),

3) Quwwah al-Shahwiyya (le pouvoir des désirs).

Ces pouvoirs naturels se répercutent à la vie de trois manières :

‒Ifrad : L’excès de façon démesurée.

‒Tafrid : Le manquement, contraire de l’excès. Montrer de la négligence et du relâchement et rester en dessous de la moyenne.

‒Itidâl : le juste milieu de l’Ifrad et du Tafrid,  l’équilibre convenable dans les dispositions et les comportements.

Le résultat de l’excès dans la Quwwah al-‘Aqliyya est le débordement jusqu’à la folie. Son manquement (ou son absence)  est l’idiotie. L’acceptable demeure dans le juste milieu, par la recherche de la sagesse et de la clairvoyance en soumettant notre intellect à la révélation.

De même, l’excès de la Quwwah al-Ghadabiyya mène à la rage, à l’extrême colère. Et Son manquement conduit à la lâcheté. Le convenable réside dans le courage (al-shaja’at) et l’utilisation de la force et la vaillance selon l’utilité et le besoin.

Le récit d’une bataille, pendant laquelle Ali t renonça à tuer son ennemi alors qu’il l’avait mis à terre en est un illustre exemple. En effet, quand ce dernier lui cracha au visage, Ali t changea d’avis.

Ainsi, ce Compagnon béni combattait seulement au nom de Dieu et non pour satisfaire la colère et la fierté de son âme. Ali t montra une vertu exemplaire en refoulant sa colère pour ne pas compromettre cet acte accompli pour le seul agrément d’AllahI. Autrement dit il montra une force de conviction exemplaire à soumettre et canaliser sa colère (Quwwah al-Ghadabiyya) à la révélation.

L’excès de la Quwwah al-Shahwiyya mène à la débauche et l’immoralité et le manquement à la stagnation (jumûd). L’acceptable et l’équilibre demeurent  dans la décence, la chasteté et la pudeur.

En idéalisant tous les comportements humains sur des bases intellectuelles, émotionnelles et  sexuelles, l’Islam indiqua leurs formes légitimes et acceptables. Par exemple, le « meurtrier » et le « moudjahid  » accomplissent en apparence le même acte. Cependant, le meurtrier commet un meurtre pour son compte personnel alors que le moudjahid, lui, accomplit le djihad  au nom d’Allah.

Autre similarité: les « intérêts » et le « commerce » peuvent être confondus. Mais alors que le prêt à intérêt est prohibé car c’est une pratique usurière, le commerce de biens est tout à fait licite et légal.

Autre exemple:« L’adultère » et « le rapport sexuel » (dans le couple marié). L’adultère est un acte interdit et rejeté par l’Islam car il ruine les générations alors que les relations dans le cadre du mariage sont parfaitement licites et sources de bénédictions pour la descendance et la société.

Le Coran nous indique à ce sujet : « Ceux qui disent : «Seigneur, fais que nos épouses et nos enfants soient pour nous une source de bonheur ! Daigne faire de nous des modèles de piété pour ceux qui craignent le Seigneur ! » (al-Furqān, 74)

Ces actes qui semblent donc similaires peuvent apporter soit la béatitude dans l’au-delà, ou une catastrophe en fonction de l’éducation spirituelle reçue.

L’objectif de l’éducation soufie est d’orienter conformément aux indications coraniques et prophétiques vers le juste milieu  les tendances et  penchants qu’ils soient excessifs ou déficients. Les pulsions innées de l’homme le mèneront à la perdition et l’oppression si elles sont laissées à leur état brut et ne sont pas dressées.

À cet égard, l’éducation et l’enseignement sont vitaux pour l’homme.

Allah envoya les Prophètes عَلَيْهِمُ السلام comme étendard pour l’humanité à des époques où l’ignorance et l’injustice atteignaient les sommets. En particulier notre Prophète fut envoyé à une époque de non-droit où toute forme d’humanité avait disparu.

L’éducation des âmes par les Prophètes عَلَيْهِمُ السلام à travers la lumière de la révélation divine sauva ces gens des ténèbres de l’ignorance pour les élever tels des étoiles dans le ciel. 

Ceux-là ont bâti une civilisation de vertus.

Les Trois Missions du Prophète

Le Coran indique :

« (Ô les hommes!) C’est ainsi que Nous vous avons envoyé un Prophète choisi parmi vous, qui vous récite Nos versets, vous purifie, vous apprend le Livre et la Sagesse et vous enseigne ce que vous ignoriez. » (al-Baqara, 151)

Dans ce verset, Allah le Tout-Puissant attire notre attention sur les trois devoirs de notre Prophète :

1) يَتْلُوا عَلَيْكُمْ اٰيَاتِنَا : Réciter les versets révélés et transmettre ainsi les fondements de la religion.

2) وَيُزَكّ۪يكُمْ : Purifier l’âme de tout sentiment impur.

3) وَيُعَلِّمُكُمُ الْكِتَابَ وَالْحِكْمَةَ : Par cette éducation spirituelle, apprendre en profondeur le Saint Coran, la sagesse et les secrets de l’univers, des évènements et des manifestations.

La mission prophétique du Messager d’Allah commença par la transmission du message du Tawhid (l’unicité de Dieu) et des révélations. Toutefois, ce ne fut que le premier palier de l’objectif final.

Pour que la transmission du message du Tawhid atteigne son but, il est indispensable de purifier les égos des souillures que sont la mécréance, l’idolâtrie, l’hypocrisie, l’ostentation, l’orgueil et la jalousie pour atteindre la sincérité, la piété, l’humilité et le recueillement.

Abou al-Hassan al-Kharaqanî قدس سرّه dit sur le sujet :

« Quand une braise atteint ta robe, tu te dépêches de l’éteindre ! Comment peux-tu alors laisser le feu de l’orgueil, la jalousie et l’ostentation envelopper ton cœur ?! »

Ainsi, la purification de l’âme (tazkiya) consiste à filtrer tous les sentiments selon les fondements de la foi et les rendre raffinés et purs.

Ibni Abbas t explique que l’expression « tazkiya »employée dans le verset du Coran ci-dessus signifie dire « Lâ ilâha illâllah! ». En effet, la première étape dans la purification consiste à nettoyer le cœur de la mécréance (kufr) et l’idolâtrie (shirk).

D’ailleurs la parole du Tawhid commence par la négation (nafy). Ainsi, en disant « Lâ ilâha », on nettoie du cœur les passions de l’égo devenues des idoles et les mauvais comportements.

Ensuite par l’affirmation (isbat) « illâllah »,  le cœur, lieux des manifestations divines, se remplit de la lumière du tawhid.

Le poète exprime cette réalité par ces vers :

Enlèves de ton cœur tout ce qui est étranger à la divinité,

Car le Roi n’est invité à entreR au palais que quand le palais est nettoyé…

Explications : Purifie ton cœur (palais) de tous les désirs autres que celui de l’union avec le Divin. Seulement à ce moment, il sera prêt à accueillir les manifestations divines.

Après l’étape de purification du cœur vient celle de « l’apprentissage du Coran », des ordres et les interdictions divines auxquels il faut se conformer.

Atteindre les profondeurs du Coran par la méditation n’est possible qu’avec cette pureté du cœur. Car le Saint Coran ne peut être lu et compris qu’avec un cœur pur et raffiné.

Othman dit :

« Si vos cœurs étaient parfaitement purifiés, vous ne vous seriez jamais rassasiés par vos lectures du Coran tellement vous y prendriez goût. » (Ali al-Müttakî, II, 287/4022)

Il est donc indispensable de purifier son intérieur des influences et sentiments mauvais et d’adopter une foi authentique, c’est-à-dire s’orner d’une croyance juste et d’une bonne morale.  Ainsi, après toutes ces étapes, le serviteur embrassera la « sagesse » et son cœur deviendra le centre des manifestations divines par lesquelles tous les secrets  sur les évènements et les choses lui seront dévoilés. 

Le Savoir Inutile

On remarque dans les versets que les notions de « purification » et « d’apprentissage du Livre et de la Sagesse »  sont mentionnées conjointement. Cela nous apprend implicitement que l’apprentissage de la science nécessite au préalable une purification du cœur  qui, sans elle, ne fournira aucun bénéfice pour l’être dans la voie du salut éternel.

C’est pour cela que notre Prophète invoqua ainsi notre Seigneur :

« Seigneur Dieu! Je me mets sous Ta protection contre une science qui ne fait aucun bien, contre un cœur qui ne se soumet pas à Toi en toute humilité, contre une âme qui n’est jamais satisfaite et contre une invocation qui n’est pas exaucée(Muslim Dhikr 73)

Peu importe son niveau d’étude, l’homme qui n’acquiert pas  une amplitude spirituelle est voué à rester à l’état brut et immature. Par exemple, si cette personne étudie et devient médecin il risque de devenir marchand d’organes pour assouvir (les désirs de) son égo au lieu de guérir les malades. Un avocat ou un juge, au lieu d’exprimer la justice et la droiture, risquera de devenir le leader d’un réseau criminel.

S’il devient un chef d’État, il pourra incarner l’image de la persécution.

S’il étudie les sciences religieuses et devient un religieux, il présentera une compréhension de la religion loin de la piété et sans âme.

Parce qu’une âme esclave de ses passions, peut mettre tout son savoir au service des intérêts mondains et avec sa science accomplir aisément une oppression beaucoup plus horrible qu’un ignorant ne le ferait avec son ignorance. Rûmî قدس سرّه dit à ce sujet :

« Apprendre la science à une personne immorale c’est donner une épée à un bandit. »

C’est à dire que la science transmise à des âmes brutes et dépourvues d’éducation spirituelle se transforme en un voile d’insouciance qui, au lieu de rapprocher le serviteur de son Seigneur, l’en éloigne.

Par conséquent, la connaissance et le savoir ne se limitent pas seulement au stockage d’informations dans le cerveau. Pour tirer profit de la science dans les deux mondes, il est nécessaire que son possesseur purifie son âme dans le cadre d’une éducation spirituelle, fasse gravir des étapes à son cœur et gagne une maturité de sa conscience et sa morale.

Rûmî قدس سرّه dit :

« Nombreux sont les érudits à qui la connaissance n’a pas été destinée. Bien qu’ils aient englouti et mémorisé la science ils ne sont pas devenus les biens aimés amis d’Allah! » 

Il ne faut pas oublier que toutes les sciences consistent à déterminer les lois de l’univers mises en œuvre par le Créateur. Alors que la connaissance authentique consiste à franchir une étape supplémentaire pour aller à la connaissance du Majestueux et du Tout-Puissant qui émet ces lois, et enfin appréhender les secrets divins et la sagesse.

Rûmî قدس سرّه  appelait la période de sa vie où il avait atteint le sommet des sciences apparentes mais n’avait pas encore goûté au plaisir spirituel « Période crue ».

Puis il surnomma celle pendant laquelle il commença à dévoiler dans son cœur les secrets et les sagesses divines et feuilleter les pages du livre de l’univers « Période cuite » et enfin quand le feu des secrets divins l’embrasa et qu’il eut atteint la connaissance et l’amour véridique «Période brûlée ».

D’autre part, celui qui ne se conforme pas aux dimensions indiquées par le Coran et la Sounna durant sa quête de savoir ne tirera aucun bénéfice de ses actes et son apprentissage.

Comme le dit notre Seigneur Ali :

« L’ombre de ce qui est courbé est aussi courbée. »

Toutes les dispositions et comportements de l’homme sont à l’image de son intérieur. Tout comme il est impossible qu’une règle déformée donne une ligne droite, il est vain d’attendre d’un homme au cœur rugueux qu’il ait un caractère vertueux. La voie des gens aux pensées sombres, ne seront jamais illuminées. Ce qui déborde d’un récipient est son contenu même.  Ainsi, des dispositions et caractères purs et saints n’émaneront jamais d’un cœur trouble.

Au contraire, quand l’intérieur du serviteur est embelli de pureté et de sincérité, la volonté divine à son sujet se manifeste par la grâce et les bénédictions.  L’histoire qui suit exprime parfaitement cette réalité :

Le Jardin de Grenades…

Un jour l’Empereur Sassanide Khosro (Anushiravan) connu dans l’histoire pour sa rectitude sortit pour chasser puis se séparant de ses compagnons trouva en chemin un jardin.

Il demanda au jeune qui s’y trouvait: « –Peux-tu me donner une grenade ? »

Le jeune en cueillit une grande et la lui donna.

Anushiravan assouvit sa soif et apprécia particulièrement le goût exquis de la grenade.

Il se dit : « –Un jardin avec de tels fruits doit m’appartenir. Quoi qu’il en soit je dois le prendre.»

En pensant à cela, il demanda une autre grenade. Mais cette fois-ci, la grenade était sèche et amère. Quand il en demanda la raison, le jeune inspiré lui répondit :

« –Seigneur, je crois que votre cœur  penchait vers l’injustice. Avec force et autorité, vous vouliez me déposséder de mon jardin. »

Alors, Anushiravan renonça à son désir et se repentit d’avoir eu cette mauvaise pensée. Et quand il demande une autre grenade, il la trouva aussi juteuse et sucré que la première.

Ébahi, l’empereur demanda cette fois-ci la raison de ce goût exquis. Le jeune répondit :

« –Je pense que vous vous êtes repenti de votre mauvaise pensée. »

On raconte que suite à cet incident Anushiravan vécut un éveil spirituel et se détacha de toutes les mauvaises pensées le menant à l’injustice et à l’oppression.  Ainsi, il demeura un empereur droit et juste si bien qu’on le surnomma  « le juste ».

À l’approche de sa mort, Anushiravan fit ses adieux  à son peuple et paya tout son dû. Quand il mourut, son cercueil parcourut tout le pays et un crieur public clamait :

« Que celui qui a un dû viennent le réclamer !... »

On ne trouva pas une seule personne à qui il était dû même un dirham.

Par conséquent, ceux aux cœurs fins et purs laisseront toujours derrière eux  des souvenirs mémorables et magnifiques. Parce que toutes dispositions et comportements de l’homme reflètent en quelques sortes son monde intérieur. D’ailleurs dans un hadith, le Messager de Dieu r indique :

« Allah ne regarde pas vos corps ni vos apparences, mais Il regarde vos cœurs et vos œuvres(Muslim, Birr, 33; Ibni Majah, Zuhd, 9)

C’est à dire la considération et le traitement du Tout-Puissant vis-à-vis de son serviteur changent selon la nature des désirs et intentions de ce dernier. Le dénouement des actions de celui dont le cœur est pur et les intentions sont bonnes vont vers le bien.  La volonté divine se manifeste selon les intentions et les pensées.